Au Gros Objectif

J’ai déjà envoyé un article, mais des anecdotes me sont revenues. J’ai travaillé en tant qu’extra dans un laboratoire photo, deux fois deux mois d’été, et quelques jours par-ci par-là, ça aide toujours à arrondir les fins de mois d’étudiante.

Quand j’ai commencé, je ne savais rien du domaine de la photographie, rien, nada, à part appuyer sur le bouton et hop la photo était prise. Pareil en ce qui concerne le domaine de la vente, j’ai tout appris sur le terrain. A la fin du premier mois, j’étais au point sur les bases, et si jamais j’avais besoin d’aide, eh bah, j’allais en demander. Statuons d’abord que dans ces magasins, sur 5 magasins, 1 seul a pour responsable une femme, mais que quasiment tous les vendeurs sont en fait des vendeuses. Parce qu’il faut « bien présenter », alors que le responsable, lui, répond aux questions les plus techniques. Il y a 1 vendeur à temps complet, et un qui avait été engagé il y a deux ans mais qui a rapidement abandonné, alors qu’on lui avait donné le poste de responsable même si il n’était là que depuis peu et que d’autres, femmes donc, avaient plus d’expérience.

Je vous passerais mes expériences avec l’un des responsables, extrêmement macho et qui me donnait les tâches les plus ingrates tout en accumulant les blagues graveleuses, je pense que le sujet a suffisamment été abordé. De même pour tous les clients plus absorbés par mon sourire/mes yeux/ ma féminité avérée que par mon discours.

J’adorais mon boulot, et si je suis partie c’est plus par mésentente avec la direction que pour le travail en lui même. C’est un métier où les sentiments sont forts: souvent, des personnes copient de vieilles photos, de moments heureux, ou de personnes décédées, on développe des photos de voyage, des mariages, bref, le contact est extra.
Et il y a les autres personnes. Ceux qui s’y connaissent et le font savoir, ou qui ne s’y connaissent pas mais s’y connaissent forcément plus que la vendeuse de 17-18 ans (heureusement que je fais plus âgée, même si pas assez pour faire crédible, visiblement). Beaucoup m’ignorent pour parler directement à mon responsable parce que ces messieurs veulent le best du best. C’est à dire, un homme, un vrai, qui a de l’expérience dans la photo, domaine d’hommes, vu qu’il dirige une bande de nanas. Je n’aime pas ces clients qui ont décidé que je ne pouvais pas leur fournir ce dont ils ont besoin, même quand il s’agit de choses simples. A noter que des femmes aussi font partie de cette catégorie….

Parmi eux, un acteur français, on a qu’à l’appeler M.Objectif. Ce cher monsieur a déposé sa commande de photos pendant ma pause déjeuner. Quand je suis retournée travailler, ma collègue m’a annoncé « M.Objectif est passé, c’est un gros client, tout doit être fait pile à l’heure sinon il fera un scandale ». Ravie de le savoir, je ne sais pas qui est ce monsieur. Elle m’a dit dans quoi il avait joué, toute aussi ravie, un client, c’est un client, acteur ou pas.
Plus tard dans la journée, un monsieur entre dans le magasin. Mon responsable est à la production (il s’occupe du développement des différentes commandes), ma collègue déjeune, je suis au comptoir, je l’accueille.

« Bonjour Monsieur !
-….
-… Bonjour ?
-…
– Je peux vous aider ?
-… Non mais euh geste vague vers mon responsable qui n’a pas tourné la tête
– Je peux faire quelque chose pour vous ? »

Intérieurement, je commençais à m’agacer. Mon responsable se tourne vers moi et cingle : « C’est M.Objectif, il veut ses photos ». Suis-je bête, je ne l’ai pas reconnu, cet acteur que je ne connais pas. Les joues rouges de m’être faite rabaissée devant un client, je sors les fameuses photos, et lui donne, attendant qu’il les vérifie pour l’encaisser. M.Objectif décide d’étaler ses photos une à une sur le comptoir. Certes, excusez-moi, je vais faire autre chose pendant ce temps là, pas très envie de faire la potiche. Je me remets au travail, pendant qu’il contemple son oeuvre.
Mon responsable va pour partir déjeuner. M.Objectif le choppe par le bras et lui déclare (je m’en souviendrai TOUTE MA VIE) :

« J’ai besoin d’un avis macho et viril pour mes photos »

J’ai eu l’impression de recevoir une claque. Il ne m’avait pas adressé la parole, m’avait ignoré, s’était conduit en buffle, parce que Monsieur ne veut pas avoir affaire à une femme, point à la ligne. Mon responsable lui a donc prodigué ses conseils pour choisir des photos DE SES FILLES pour en faire des posters. Oui, oui, un avis macho et viril pour faire des posters des photos de ses filles et leur offrir. Le père rêvé, hein.

Posters que j’ai dû, en plein rush de l’après-midi, mettre sous cadre à une cadence effrénée.
Arrive M. Objectif en fin de journée pour récupérer ses posters, déjà payés. Il me lance « Si on pouvait faire vite, parce que je tourne, là. » Au cas où je n’aurais toujours pas compris qu’il était bien, bien, bien plus important que moi.

Sachez que M.Objectif est revenu, et que je l’ai reconnu. Je lui ai tout de même demandé son ticket pour récupérer ses photos, alors qu’il soupirait. Puis, je l’ai regardé droit dans les yeux sans jeter un coup d’œil à son ticket, que j’ai froissé, puis jeté à la poubelle avant de lui récupérer ses photos.

Acteur à la grosse tête, ça peut passer. Acteur misogyne à la grosse tête, faut pas déconner.

Oui, le responsable était macho aussi. Mais j’ai quand même très mal vécu qu’il ne me soutienne pas dans cette situation, alors que dans un autre magasin, un responsable aurait répondu « Je vous laisse avec ma collègue, elle est parfaitement compétente pour répondre à vos question », c’est arrivé, souvent même. En plus de me laisser tomber, il a même participé, par ses réactions, à me faire me sentir comme le dernier des chewing-gums dégueulasses collés sous nos chaussures. Il m’a fallu un an pour prendre assez confiance en moi dans ce métier pour commencer à le remettre à sa place, et à ne plus me laisser faire du tout par ce genre de clients.

Édité par Mar_Lard