Assassin’s Creed : l’attaque des clones

Révélé durant l’E3 de cette année, le trailer d’Assassin’s Creed : Unity vaut son pesant de cacahuètes, avec des drapeaux français de partout, une ville de Paris superbement reconstituée et des nobles décapités par une foule en furie. Le jeu va – si vous ne l’aviez pas déjà compris – se dérouler durant la Révolution française et proposer des phases de gameplay aussi bien en environnement extérieur qu’intérieur. Un mode coopération est proposé en parallèle de la campagne solo (dont le héros s’appelle Arno. Je. Bon. C’est pas le sujet). Forcément, c’est l’E3 donc on nous en met plein la gueule, à voir ce que ça va donner au final. Mais les premières images donnaient de quoi être enthousiastes.

Ledit enthousiasme s’est quelque peu refroidi lorsqu’il a été révélé que ni dans la campagne solo, ni dans la campagne coop, il ne serait possible de jouer une femme assassin. Seul le visage, l’équipement et la couleur des vêtements du personnage pourront varier. La jaquette du jeu en serait drôle si le résultat n’était pas si déprimant :

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Coucou les clones !

J’ai l’impression de vous avoir déjà vus.

Venant du studio qui sortait Child of Light peu de temps auparavant, il y avait de quoi être déçu par cette douche froide. Ubisoft a précisé que ce choix était dû au fait qu’animer des personnages féminins doublerait temps et coût de travail (animations, voix, etc.) et que cette option a donc été abandonnée. La viabilité de cette excuse a été vivement critiquée. De la part d’un studio de l’ampleur d’Ubisoft, il est difficile d’imaginer qu’ils n’avaient pas les moyens d’animer des femmes pour leur jeu : implanter des personnages féminins n’était pas leur priorité, tout simplement, et ils se sont concentrés sur autre chose. Ce serait pas mal de juste assumer ça, au moins. Surtout que question technique, de l’avis du directeur animations d’Assassin’s Creed III, créer un personnage féminin réaliste ne demandait pas tant de travail :

« À mon avis informé, j’estime que ça prendrait un ou deux jours de travail. Pas un remplacement de 8000 animations. »

OU BIEN, ils pensaient à un énorme travail à faire pour obtenir des animations radicalement différentes entre un perso féminin et masculin. Ce qui indiquerait justement que nous bougeons de façon complètement différente en tant que femmes ou en tant qu’hommes. Le souvenir douloureux de la démarche et des poses sexualisées de FemHawke dans Dragon Age 2 me vient en mémoire…

Ubisoft, ça ne tient pas la route. On parle d’assassins pendant la Révolution française. Leurs démarches et leurs postures ne vont pas être radicalement différentes selon leur sexe ou leur genre.

Aveline en a été la preuve et partage plus d’animations avec Connor Kenway que son aïeul masculin Edward Kenway :

Des sources plus récentes indiquent cependant qu’en réalité, nous jouerions littéralement des clones : les personnages de coop seraient tout simplement Arno. Répété quatre fois. Donc, que ça justifierait l’uniformité présentée sous nos yeux.

Donc si j’ai bien compris, ils auraient foutu quatre fois le même personnage sur la jaquette. C’est… intéressant, comme choix artistique.

Après, peu importe. En supposant même que l’une ou l’autre explication tienne la route, le résultat reste tout aussi blasant : le fait que par défaut, on commence par implémenter le modèle du mec blanc trentenaire, et que tout le reste soit en option. Parce que oui, soigner les décors, Paris, les palais, tout ça, ok, très bien, c’est super. Le niveau des détails et du réalisme des reconstitutions semble, pour l’heure, proprement bluffant. Mais représenter la majorité de la population humaine serait secondaire d’un point de vue réalisme artistique ?

En soi ce n’est pas un problème de jouer un mec blanc dans un jeu, mais pourquoi est-ce systématiquement le choix par défaut ? Pourquoi un tel biais en faveur de cette démographie ? Ceci est bien sûr une question rhétorique. Quand on voit la sur-représentation de ce type de personnages dans les jeux vidéo – et même les médias en général – il serait de mauvaise foi de prétendre que les médias reflètent une vision réaliste de nos sociétés en termes de représentation, que ce soit des genres, des races, etc.

Par défaut, le personnage masculin est « neutre », c’est la base, le personnage féminin est une anomalie – pas forcément dans le sens péjoratif du terme, mais une anomalie – à rajouter par la suite. C’est pas moi qui l’ai dit, c’est Simone de Beauvoir. Et ce constat s’applique aussi bien aux femmes qu’aux personnes non-blanches ou encore aux personnes LBGTQIA+. L’échec d’Ubisoft à ce niveau pour Assassin’s Creed : Unity n’est malheureusement qu’un des très nombreux reflets de cette réalité culturelle. L’industrie vidéoludique a encore de trop gros progrès à faire pour ne plus s’acharner à ne représenter qu’une portion des personnages pouvant être représentés, et à favoriser une niche de leur marché.

La grogne est montée. Ubisoft subit depuis l’annonce les critiques de joueurs-ses mécontent-e-s et même de certains développeurs-ses. Sur Twitter, un hashtag sur la question a pris une grande ampleur : #womenaretoohardtoanimate, une référence directe à l’excuse invoquée par le studio pour justifier leur choix. Une pétition a même été lancée sur le sujet.

Certains ont défendu Ubisoft en ajoutant qu’il n’était pas réaliste qu’une femme soit assassin durant la Révolution française. On leur rappellera tout d’abord l’existence de Charlotte Corday (l’article de The Mary-Sue sur AC Unity en parle par exemple). Par ailleurs, Dork Tower a bien su rappeler que le réalisme d’Assassin’s Creed était tout relatif. Bizarre, dans ce cas, que l’idée de jouer une femme assassin paraisse si radicale…
Pour couronner le tout, rebelote pour Far Cry 4 : les options de choix de genre ont été initialement prévues en coop, puis abandonnées. Parce que trop compliqué de faire des animations dédiées pour les femmes.

Il est regrettable de constater à quel point l’industrie doit encore être bousculée pour véritablement évoluer en termes de représentation, en faveur d’une vision plus réaliste de la société – et même, tout bêtement, qui respecte un peu plus le marché /réel/ du jeu vidéo. Surtout quand on se vante de faire un jeu proche de la réalité.

Sérieusement, les mecs. Il est temps de vous réveiller pour de vrai. Vous avez commencé à en parler, on a vu des développeurs dénoncer directement le problème. Alors agissez en conséquence. Et par pitié, cessez de nous sortir des excuses bidon lorsque vous vous plantez une fois de plus. Heureusement qu’on a eu Nintendo cette année.

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Pour en savoir plus :

http://www.rockpapershotgun.com/2014/06/12/assassins-creed-unity-characters/

http://www.pcgamer.com/2014/06/11/ac-op-ed/

http://www.vg247.com/2014/06/11/ubisoft-attempts-to-explain-why-assassins-creed-unitys-co-op-has-no-playable-women/

http://www.ibtimes.co.uk/e3-assassins-creed-unity-causes-controversy-no-playable-female-characters-1452206

Édité par Keela et Mar_Lard

L’affaire Jade Raymond

Aujourd’hui, je souhaite parler de ce que j’oserai appeler l’affaire Jade Raymond, une productrice de jeux vidéo.
Si les développeuses et plus généralement les femmes qui travaillent dans le milieu des jeux vidéo sont souvent victimes de sexisme, le cas dont j’ai envie de parler me semble battre des records.
Connaissez-vous Jade Raymond, ancienne développeuse chez Sony, puis EA, maintenant productrice chez Ubisoft ?
L’autre jour, je suis tombé sur ce vieux sujet de 2012 où une bande d’hommes font un débat pour savoir si c’est une vraie ou une fausse développeuse, chacun y allant de sa petite analyse, de sa petite validation positive ou négative personnelle. Oui, car voyez-vous, Jade Raymond est atteint d’une grave maladie, elle est jolie, ce qui en fait nécessairement une femme qui profite de son physique pour obtenir un poste plus élevé, et qui n’a pas la moindre compétence réelle.

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Après avoir lu ça, j’aurai pu m’arrêter là, me dire que le 15-18 de jeuxvideo.com n’est pas spécialement réputé pour son féminisme et son intelligence. Mais je voulais en savoir plus. Une recherche « Jade Raymond » dans les news du site nous donne un panel de résultat que l’on peut classer aisément en deux catégories. Les articles qui ne contiennent pas de photo de la productrice car traitant d’un jeu produit par elle, et ceux qui en contiennent une, car traitant directement de Jade Raymond. Dans le premier cas, les réactions sont les réactions habituelles des true gamers : mauvaise humeur, ça suffit les DLC trop cher, le jeu trop casual, etc… Dans le second, la plupart des commentaires concernent le physique de Jade Raymond, avec validation ou pas de celui-ci. Je vous mets les PREMIERS commentaires d’un article de 2009 la concernant, intitulé « Jade Raymond déménage », article relatant simplement sa promotion au sein d’Ubisoft :

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Même la rédaction de jeuxvideo.com s’y met dans la news de 2007 « Assassin’s Creed franchit la limite », qui ne concerne même pas la productrice :

Assassin's Creed franchit la limite

Ce n’est pas encore du niveau de Joystick, mais avec un peu d’entrainement, je suis sûr que vous pouvez y arriver !
Heureusement, un modéré vient immédiatement rappeler à jeuxvideo.com son devoir d’information (encore une fois, c’est le premier commentaire, pas besoin d’aller chercher la petite bête) :

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Bon, j’ai assez tapé sur jeuxvideo.com. Inutile de dire « nan mais c’est juste la communauté jvc qui est pourrie, tu vas sur XYZ.com la communauté est bien plus saine », car 1. Jeuxvideo.com est de TRÈS loin le site de jeux vidéo français le plus fréquenté et 2. on trouve des news et forums similaire sur les autres sites du milieu, de jeuxvideo.fr jusqu’au forum hardware.fr, où s’entassent sans modération aucune les propos tels que « C’est vrai qu’elle est bonne la nana », ou le victim-blaming « M’enfin, si elle s’affiche partout avec son sourire Ultra bright, qu’elle ne s’étonne pas de faire l’objet de critiques ». Quelqu’un d’un peu plus raisonné, essaie quand même de rappeler « qu’on ne devient pas productrice en claquant des doigts », mais on lui répond assez rapidement « Par contre en couchant oui ».

Du côté des anglophones, un rédacteur de Kotaku rédige cette news « Jade sent jolie au London Game Fest »:

Jade Smells Pretty At London Games Fest

« Les visiteurs du London Game Festival ce week-end auront la rare opportunité de s’approcher assez de Jade Raymond d’Ubisoft pour baigner dans la chaude odeur fleurie qu’elle laisse partout où elle passe. Elle fera une apparition au magasin HMV sur Oxford Street Samedi après-midi pour promouvoir un jeu à propos d’assassins qui font quelque chose, peut-être tuer ce groupe qui chante la chanson « Can You Take Me Higher ». Le communiqué de presse ne parle pas de démonstration de nouveaux niveaux de la dernière version du jeu, mais cela n’a pas d’importance. Personnellement, j’espère qu’elle annoncera un nouveau jeu où tu bouges juste la caméra autour d’un modèle 3D de sa personne pendant des heures. Je paierai des centaines de dollars. Ou de livres. Des livres de dollars. Lisez la suite pour le communiqué de presse considérablement plus sain. »

Plus tard en 2011, c’est cette photo qui montre Jade Raymond devant son équipe qui a rapidement été transformée :

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« Beauté : Parce que le travail, c’est pour les losers derrière toi »

En parlant de 2011, je suis tombé sur un bien étrange montage sur un Gameblog (indépendant de la rédaction du site). Le blogueur prétend qu’il « a fait l’amour à Jade Raymond », et s’excusant de ne pas pouvoir « décemment pas vous montrer une photo en pleine action voici un cliché pris en studio un quart d’heure plus tôt (ou pas). Je tiens d’avance à m’excuser auprès de Jade Raymond (qui n’a rien demandé) pour cet odieux montage… » En effet, elle n’a rien demandé, et c’est pourquoi je ne le diffuserai pas ici. Il s’agit d’un photomontage de Jade Raymond posant nue devant le blogueur.

On arrive maintenant à ce pourquoi j’ai voulu véritablement écrire cet article. Cette fois-ci, les événements datent de 2007, peu de temps après la nomination de Jade Raymond comme productrice chez Ubisoft.
Sur le forum Something Awful a été diffusée une bande dessinée très courte mettant en scène une Jade Raymond incompétente, tentant de vendre le premier Assassin’s Creed sur lequel elle travaillait en se prostituant explicitement à une bande de nerds : une fellation en échange de l’achat du jeu. Le contenu est explicitement pornographique et extrêmement insultant pour la productrice.

Cette bande dessinée a immédiatement fait réagir Ubisoft qui en a exigé le retrait sur certains sites où elle a été posté. Cependant, celle-ci est toujours accessible sur le web en 2014. On la trouve aisément sur internet avec une simple recherche (filtrage activé ou non). Ce qui signifie que toute personne souhaitant se renseigner honnêtement sur Jade Raymond peut, encore aujourd’hui, tomber sur cette horreur…

Les réactions sont assez mitigées sur les communautés anglaises, même si j’ai l’impression que la plupart des gros sites ont condamné la chose. Pour les blogueurs, c’est une autre histoire. J’en ai trouvé qui hébergeaient directement l’image, d’autres qui expliquaient comment la voir. L’un nous explique même que c’est la faute d’Ubisoft :

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« Merci Ubisoft d’avoir nui à l’image des femmes dans l’industrie du jeu vidéo en faisant de Jade Raymond un sex-symbol.
Pourquoi ne pas admettre que ton département Relations Publiques s’est foiré, et que ces réactions étaient entièrement prévisibles ?
Assassin’s Creed allait de toute façon se vendre de son propre mérite, mais il a fallu que tu fasses le malin, hein.
Ubisoft, tu es entièrement responsable pour ça. »

Les communautés françaises ont été plus silencieuses. Aucun mot sur jeuxvideo.com ou jeuxvideo.fr par exemple. Cependant, Gameblog en a fait un article qui … vaut le détour. Vraiment. Intitulé « Jade met pas ce genre de truc », je vous laisse l’apprécier :

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Pratiquement chaque phrase de cet article est une monstruosité. Dès le titre :
– « Jade met pas ce genre de truc » : d’abord, monsieur de Gameblog, on se fout de ce que met Jade Raymond dans sa vie privée;
– « Ubi s’attaque à une parodie graphique de Jade » le mot parodie n’est pas anodin, il sous-entend que Jade Raymond a vraiment un comportement de ce genre, et qu’il ne s’agirait donc juste que d’une simple exagération satirique; elle aurait une certaine part de responsabilité.

Je remarque que Jade Raymond est ici familièrement appelée Jade, sans nom de famille. Le premier paragraphe raconte l’histoire, en précisant que le visage de Jade Raymond est le « (joli) visage promotionnel du tout récent Assassin’s Creed », en insistant sur le côté « parodique » (donc relativement vrai au final : son visage à bien servi à vendre la série, selon eux). Dans le second paragraphe, ils précisent qu’ils ne peuvent pas héberger la BD ou la diffuser, mais on devine qu’il s’agit là avant tout de raisons légales et non éthiques puisqu’ils s’empressent de fournir un lien, toujours fonctionnel… près de sept ans après ! Ils nous préviennent également que la BD n’est pas si drôle, ni si pornographique que ça, zut alors. C’est vrai que c’est dommage, elle ne fait « que » des fellations à des hommes pour vendre ses jeux; c’est drôle, mais ça aurait l’être plus ! Hilarant, une professionnelle du jeu vidéo traitée ainsi.

Personnellement, je souhaite à Jade Raymond la meilleure continuation possible; sans jamais avoir vu son visage avant la semaine dernière, j’ai acheté Assassin’s Creed I et II il y a longtemps et j’ai passé un très bon moment devant ses jeux.

Pour aller plus loin :
http://www.feministe.us/blog/archives/2007/11/19/the-trouble-with-jade/
http://geek-woman.com/wordpress/2007/11/20/the-jade-raymond-controversy-video-interview-details/

Edité par Mar_Lard

Gay Guy Ubisoft

Chez Ubisoft, ils étaient frileux. Il leur semblait compliqué de mettre en scène une femme comme personnage principal d’un Assassin’s Creed. C’était une question « difficile ». « Tout ça a été décidé il y a des années, nous n’avons à aucun moment pensé : est-ce que ça pourrait être une femme ? » Le directeur artistique sous-entendait même qu’une femme assassin rendrait le jeu plus difficile à vendre. Pourtant, ils n’avaient pas mis de côté ce concept.

Ainsi, il est possible de jouer Aveline de Grandpré dans Assassin’s Creed Liberation. Elle sait aussi bien se défendre que les avatars masculins et a le mérite de ne pas être hypersexualisée. Ubisoft présente avec elle une héroïne métisse, représentant une minorité encore trop peu présente dans les avatars des jeux vidéo.

Malheureusement, certains joueurs le regrettent :

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« Bon gars Ubisoft : Fait un jeu avec protagoniste féminin, ne la sexualise pas outrageusement » :
« Je ne peux pas me branler là-dessus »
« Elle a des nichons plats »
« Elle est super moche »
« Je trouverais une façon de me branler là-dessus, ou j’en mourrais »
« Eeeeet le jeu est merdique… »
« Tu te comportes comme une féministe »
« Gars gay Ubisoft »
« La tresse est trop longue, 2/10 je ne baiserai pas »
« Et c’est bien ça ? Ha, GAAAAAYYYYYYYYYYYYYY »
« Plutôt Gars Gay Ubisoft »

 

En reprenant quelques memes, les commentaires fusent sur les seins du personnage (« flat boobs », les seins plats), l’impossibilité de se masturber dessus (« I can’t fap to this », ou « I will find a way to fap to this or die trying »). Le personnage serait laid (« ugly »).

Sexisme, homophobie (Ubisoft serait « gay » suite à la proposition de jouer ce personnage), racisme (il est aisé de sentir le racisme derrière certaines de ces réactions), voilà ce que les communautés de joueurs peuvent présenter.