Des seins pour la recherche

Je me suis souvenue d’une anecdote de lycée : certaines classes, dont la nôtre, avaient été invitées à un salon où des chercheurs présentaient leurs travaux en cours. Les classes sélectionnées étaient celles de section scientifique comportant le plus de filles, dans une idée de les encourager à poursuivre dans ces voies où elles restaient pour l’instant minoritaires (en l’occurrence, notre classe devait être constituée de 3/4 de filles).

Entre autres, un informaticien présentait un programme qu’il mettait au point, qui faisait qu’en passant la souris sur une image on se heurtait à plus ou moins de résistance, ce qui donnait une impression de toucher. Il nous avait expliqué rapidement le principe et nous avait fait tester sur différentes images, des tissus, un paysage, un labyrinthe, des choses comme ça. Et puis il avait ouvert la photo d’une actrice (je ne saurais plus dire laquelle, j’avais juste noté qu’elle avait de la poitrine) avec un décolleté, dans une pose aguicheuse, et avait dit « qui veut toucher [actrice] ? »

Ça me frappe aujourd’hui de voir que ça ne m’avait pas choqué à l’époque. Ma réaction avait plutôt été de lever les yeux au ciel en me disant « ah, les informaticiens, tous les mêmes ». Sauf que j’ai pu constater depuis que non, les informaticiens ne sont pas « tous les mêmes », et que c’était surtout un type qui n’était peut-être pas obligé de faire part de ses fantasmes à un groupe d’adolescentes.

Une informaticienne/geek dans un milieu d’hommes

Trois petites anecdotes de développeuse et joueuse de MMORPG.

Bonne fête !
Une anecdote qui me fait encore pleurer. Il y a quelques années, je cumulais un CDI plein temps d’analyste programmeur web en journée et des cours du soir en licence d’informatique le soir (car je n’avais que des formations qualifiantes et pas de diplôme viable). A ces cours, toutes les personnes avec qui j’interagissais savaient que je travaillais déjà dans le domaine et me demandaient parfois mon aide, hommes comme femmes. Pas aussi souvent qu’on aurait pu l’imaginer vu que j’étais censée être pro parmi les étudiants, mais quand même. C’est un de mes camarades (connaissant mon boulot) qui m’a cloué sur place en m’envoyant, en avril, un SMS me souhaitant une « Bonne fête des secrétaires ! ». Ce n’était pas une blague, et j’ignore toujours ce qui lui est passé par la tête. Des années plus tard, en tant que .Net Consultant (programmation web toujours), un collègue a plaisanté : « Si t’es méchante comme ça t’auras pas de fleurs pour la fête des secrétaires ! » qui me l’a vivement rappelé. Le « pourquoi ? » reste sans réponses, mais très, très amer.

Obéir à une femme ? Jamais !
A une époque, je jouais de manière très investie dans une communauté compétitive sur un jeu type MMORPG. Un jour on recrute un nouveau membre placé sous mon commandement. Tout allait bien jusqu’à ce qu’il entende ma voix et comprenne que j’étais une femme. Après ça il ne m’écoutait plus et rejetait complètement mon autorité et mon savoir. J’ai pris sur moi et pendant des semaines je lui faisais remarquer sans amertume ses moindres erreurs, et m’efforçait d’être de mon côté irréprochable. Ça a porté ses fruits : Il a fini par s’adresser à moi en tant que mec. Genre « [Mon pseudo] est quand même un gars bien ». C’était visiblement la seule façon pour lui de se mettre sous les ordres d’une femme.

Meilleure qu’un homme ? Ha ha, dans tes rêves.
Dans cette même communauté, juste après un patch, il s’est avéré que mon personnage avait été boosté et pouvait à présent rivaliser avec d’autres classes en terme de dégâts. Au premier combat où j’ai fini première du groupe de 25 aux dommages effectués, j’ai reçu dans la foulée des messages privés de trois personnes me disant que, moi, je n’y étais pour rien, que c’était le patch qui avait complètement mal calculé pour moi, qui les avait désavantagés, que normalement ça ne pouvait pas être moi, que ça devrait être eux les premiers, que le boss m’avantageait,…
Euh… Je n’ai rien demandé, je ne me suis pas vantée, à peine étonnée devant mon écran mais sans leur en parler. Pourquoi venir me démonter gratuitement ? Autant ils acceptaient quand j’étais première en « soins donnés » (même si j’étais bien derrière eux en équipement), autant quand ça concerne les dommages effectués, là non, une femme n’est pas recevable. Et tout le temps que je passais à calculer via Excel ou par simulation comment faire le plus de dommage possible n’était visiblement pas à prendre en compte.

Et tant d’autres…
Je ne compte plus le nombre de personnes étonnées voire révoltées que je joue des hommes en jeu de rôle. Ca va du « Tiens, tu joues un homme ? » aux « Non j’interdis qu’on ne joue pas un perso de son sexe à ma table ! ». Quand je voyais les autres personnages joueurs prendre plaisir, dans les jeux de rôle « maléfique », à violer les femmes qu’ils croisaient, je n’avais juste pas envie d’en être une. Et pourtant je devais souvent défendre mon bout de gras pour pouvoir, le temps d’un jeu, être un homme.

Depuis je garde mes écouteurs quasi tout le temps au travail (ce n’est pas un cas isolé, j’ai réussi à compter 20 remarques sexistes en 1h30 de resto par exemple. Allant jusqu’aux « Les femmes, on ne peut pas travailler avec ! » très sérieusement argumenté).
Les MMO je n’y joue que des hommes et ne dévoile quasiment jamais être une femme.
Les jeux de rôles j’ai arrêté.

Le test de la ménagère

Lundi 13 janvier 2014, Commitstrip – « le blog qui raconte la vie des codeurs » – récidive :

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« Le test le plus difficile à passer » : créer une appli que même ces bécasses de « ménagères » puissent comprendre…C’est bien connu que les femmes n’utilisent aucune appli Internet…Et c’est quand même plus simple de faire porter la responsabilité de ses échecs à l’utilisateur en recourant à des clichés sexistes éculés, plutôt que de s’appliquer à concevoir une interface ergonomique…

Les pubs WinDev

WinDev, WebDev et WinDev Mobile sont des outils de développement de l’entreprise PC Soft.
Ils ont en général 3 pages de pub par mois dans le magazine l’Informaticien.
Ça ressemble à ça :

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À chaque version, la modèle a moins de vêtements.

Mieux encore, voici la brochure de la version 19, qui colle des femmes sexy à chaque page avec de petites phrases coquines :
http://www.pcsoft-windev-webdev.com/brochure-WX19.pdf

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Dix ans de communication d’une entreprise qui fait de l’argent et a pignon sur rue. L’utilisation de corps de femmes pour vendre des produits sans rapport a encore de beaux jours devant elle.

Édité par Mar_Lard

Fleur Pellerin contre le sexisme numérique

Le 8 décembre 2013, la ministre de l’Économie Numérique Fleur Pellerin a donné une interview au Journal du Dimanche à propos du sexisme dans les entreprises high-tech.

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Elle y rappelle le public exclusivement masculin des colloques, le manque de femmes entrepreneures dans le secteur qui découle du manque de femmes en écoles d’ingénieurs, la difficulté pour les entrepreneures de lever des fonds dans le secteur, le sexisme que les femmes doivent affronter en entreprise…
Une étudiante en informatique, une développeuse et la créatrice et présidente de Girlz in Web (réseau d’entrepreneures du secteur) sont également interviewées; elles évoquent les remarques et plaisanteries sexistes, l’organisation du travail plus favorable aux hommes…
Conjointement avec la ministre des Droits des Femmes Najat Vallaud-Belkacem, Fleur Pellerin a saisi le Conseil National du Numérique pour travailler sur l’image des femmes dans le Web; conclusions et propositions en mars.

Source :
Twitter de Fleur Pellerin

Node.js et le refus d’un changement trivial

Le langage non-sexiste a ceci d’intéressant qu’il permet de s’adresser à quelqu’un/e sans le renvoyer forcément à son genre et permet ainsi d’inclure toutes les catégories de personnes qui sont laissées de côté par le masculin utilisé par défaut. (À l’Académie française ils disent « genre non marqué » pour faire bien.)

En accord avec ce principe, un développeur du nom de Alex Gaynor a proposé le changement suivant sur une portion de code de la plateforme Node.js : Un remplacement de deux occurrences de « he » par « they » dans des commentaires, qui partaient du principe que l’utilisateur était forcément masculin. (En anglais « they » est de plus en plus couramment utilisé comme singulier neutre.)

    *
    * 1. Read errors are reported only if nsent==0, otherwise we return nsent.
    *    The user needs to know that some data has already been sent, to stop
-   *    him from sending it twice.
+   *    them from sending it twice.
    *
    * 2. Write errors are always reported. Write errors are bad because they
    *    mean data loss: we've read data but now we can't write it out.

Puis dans un autre fichier :

   /* Only free when there was no error. On error, we touch up write_queue_size
    * right before making the callback. The reason we don't do that right away
    * is that a write_queue_size > 0 is our only way to signal to the user that
-   * he should stop writing - which he should if we got an error. Something to
-   * revisit in future revisions of the libuv API.
+   * they should stop writing - which they should if we got an error. Something
+   * to revisit in future revisions of the libuv API.
    */

Le texte étant un commentaire il n’influe absolument pas sur l’exécution du code. Un changement absolument trivial, le code étant proposé sur GitHub les développeurs en charge du projet se retrouvent face à une question à deux choix : « Intégrer la modification ? Oui, Non »

Si il clique sur « Oui », le changement est intégré, la documentation du code est un peu plus inclusive et tout le monde est content.

Bien sûr, un tel scénario n’a que peu de chances de se produire. Dans la vraie vie, le responsable préfèrera cliquer sur « Non » puis laisser un commentaire laconique tel que :

Sorry, not interested in trivial changes like that.

Désolé, pas intéressé par des changements aussi triviaux que celui là.

Et dans la vraie vie, il se trouvera des personnes pour se réjouir qu’un changement aussi inutile soit refusé allant jusqu’à soupçonner l’auteur du changement de vouloir se faire bien voir de la gent féminine.

Heureusement dans la vraie vie, il se trouve également des personnes raisonnables qui intègreront ce changement tout de même avant de s’écrouler face à la bêtise crasse du premier qui l’annule à nouveau :

@isaacs may have his commit bit but that does not mean he is at liberty
to land patches at will. All patches have to be signed off by either
me or Bert. Isaac, consider yourself chided.

Isaac a peut être la possibilité de faire des modifications, mais
ça ne veut pas dire qu’il a l’autorisation de faire les patches qu’il veut.
Toute modification doit être validée par moi ou Bert. Isaac, considère
ceci comme un blâme.

Et pour se laver de toute accusation de sexisme, il continue avec une excuse que nous entendons régulièrement :

To the people that felt it necessary to call me a misogynist: I volunteer in a mentorship program that gets young people – especially young women – involved in technology. How many of you go out and actively try to increase the number of women in the field?
I’m probably going to step back from libuv and node.js core development. I do it more out a sense of duty than anything else. If this is what I have to deal with, then I’d just as rather do something else. Hope that clears things up. Thanks.

Aux gens qui ont ressenti le besoin de me traiter de misogyne: Je fais du bénévolat dans une association qui aide des jeunes – particulièrement des jeunes femmes – à s’investir dans le milieu de la technologie. Combien d’entre vous participent à ce genre de chose et tentent activement d’augmenter le nombre de femmes sur le terrain ?
Je vais probablement me désinvestir du développement de libuv et de node.js, je le faisais plus par sens du devoir qu’autre chose et si je dois faire face à ce genre de comportements, j’aime autant faire un autre truc. J’espère que les choses sont claires. Merci.

Le changement a finalement fait son chemin dans le code de libuv, probablement grâce aux nombreux commentaires des développeurs et développeuses outré/es de l’attitude déplorable de bnoordhuis et en dépit des trop nombreux messages de soutien que ce dernier a reçu.

Vous en connaissez beaucoup vous des changements tellement inutiles et sans importance qu’ils valent la peine de se battre becs et ongles pour ne pas qu’ils se produisent ?

Blagues salaces contre repas de noël

Je travaille dans un groupe Web, avec une ambiance très « cool », seulement certains confondent ambiance décontractée et délires d’adolescents.
Voici un échange de mail (verbatim):

A. a écrit :
« Salut [Entité A du groupe] 🙂
Nous faisons notre repas de Noël jeudi 12 au soir, et ceux qui veulent se joindre à nous sont cordialement invités.
Il faudrait juste me prévenir pour qu’on achète suffisamment de… raclette 😛
Ça devrait coûter 15€ max par personne.
a+

E. a écrit :
[Entité B du groupe] peut venir ?

A. a écrit :
Si tu es prête à accepter quelques blagues salaces (surtout après quelques verres de vin blanc), alors oui

E. a écrit :
Sérieusement ?

A. écrit :
oui

[Ajout par Mar_Lard]

Il n’est pas normal que les femmes doivent « accepter » de subir des comportements déplacés pour être intégrées.

Est-ce que ça existe des développeuses ?

Joli combo de clichés pour le tumblr les_joies_du_code() qui illustre un gif animé déjà très sexiste (et oui tout le monde le sait, les femmes ne savent pas se garer) par un titre qui résume bien l’état d’esprit de beaucoup dans le milieu des développeurs :

LE tumblr les_joies_du_code() sous titre ça par « Quand la nouvelle développeuse casse mon code. »

Le tumblr les_joies_du_code() sous titre ça par « Quand la nouvelle développeuse casse mon code. »

Et dire que certains s’étonnent encore de l’absence de développeuses dans les équipes informatiques :

Ça existe des développeuses ?

PS: D’ordinaire ce tumblr me fait assez rire, quoi qu’il a tendance à baver un peu trop régulièrement sur les stagiaires…

[Ajout par Marlard]

Un peu plus loin sur le même Tumblr :

« Quand une fille débarque dans l’open space »
I6m4cSo

Inutile ? Vraiment ?

Chez CommitStrip, il est inconcevable qu’une femme soit développeuse puisque pour eux ce qu’il y a de plus inutile dans un bureau de codeur est: Les toilettes pour femmes.

CommitStrip sexiste

On notera aussi que l’image du strip se nomme « Strips-Toilettes-des-filles. »

Prétendu « Second degré, » exclusion et infantilisation. Combo classique.

Rappelons juste que la personne considérée comme ayant inventé la programmation est Ada Lovelace et comme l’histoire a habituellement tendance à oublier l’existence des femmes, voici quelques noms importants: Stéphane Bortzmeyer – Quelques exemples de femmes en informatique, aujourd’hui

Mise à jour

Quand on se penche un peu sur les anciennes publications, on se rend compte que comme souvent, ce n’est pas un incident isolé mais plutôt un problème général de représentation. Voyez plutôt:

Évidemment, cette collègue qui comprend rien est la seule femme présente sur la planche.

Évidemment, cette collègue qui comprend rien est la seule femme présente sur la planche.

La meuf, c'est celle qui joue pas.

La meuf, c’est celle qui joue pas.

Les meufs ça fait le ménage.

Les meufs ça fait le ménage.

Les meufs, ces créatures superficielles qui gâchent la puissance de leur smartphone.

Les meufs, ces créatures superficielles qui gâchent la puissance de leur smartphone.

Et le pire pour la fin :

Les geeks ne dépannent les pauvres ignorantes que pour coucher.

Les geeks ne dépannent les pauvres ignorantes que pour coucher.

Bref, on se rend vite compte que dès qu’une femme est représentée autrement qu’en figurante dans le décor par CommitStrip, il y a du sexisme derrière…

Sujet proposé par @dabYo